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Bout-d'-Canard ©tait tout petit, et c'est pour cela qu'on l'appelait Bout-d'-Canard, mais tout petit qu'il f»t, il avait de la tªte, et il s'entendait son affaire, car apr¨s avoir commenc© avec rien, il avait fini par amasser cent ©cus. Or le roi du pays, qui ©tait tr¨s d©pensier et qui n'avait jamais d'argent, ayant appris que Boutd' -
Canard en avait, s'en vint un jour en personne lui emprunter son magot ; et, dame, dans les premiers temps, Bout-d' -Canard n'©tait pas qu'un peu fier d'avoir prªt© de l'argent au roi. Mais lorsqu'au bout d'un an et deux ans, il vit qu'on ne songeait mªme pas lui payer ses int©rªts, il commen§a s'inqui©ter, tellement, qu' la fin il r©solut d'aller lui-mªme trouver Sa Majest© pour se faire rembourser. Et un beau matin voil Bout-d'-Canard bien pimpant et gaillard qui se met en route en chantant : « Quand, quand, quand ! me rendrez-vous mon bel argent?»
Il n'avait pas fait cent pas, qu'il rencontra comp¨re le Renard en tourn©e par l.
- Eh, bonjour, voisin, dit le comp¨re, o¹ donc allons-nous si matin?
- Je vais chez le roi, chercher ce qu'il me doit.
- Oh, prends-moi avec toi !
Bout-d'-Canard se dit:« On n'a jamais trop d'amis ... »
- Je veux bien, lui dit-il ; mais avec tes quatre pattes, tout l'heure tu seras las.
Fais-toi tout petit, entre dans mon gosier, va dans mon g©sier, et je te porterai.
- Eh, la bonne id©e ! dit comp¨re le Renard ..
Il prend ses cliques et ses claques et, leste, le voil pass© comme une lettre la poste.
Et Bout-d'-Canard repart tout pimpant et gaillard, et toujours chantant : « Quand, quand, quand ! me rendrez-vous mon bel argent?»
Il n'avait pas fait cent pas, qu'il rencontre ma comm¨re l'‰chelle accot©e son mur.
- Eh, bonjour donc, mon petit caneton ! lui dit la comm¨re ; o¹ donc vas-tu si r©solu ?
- Je vais chez le roi, chercher ce qu'il me doit.
- Oh, prends-moi avec toi !
Bout-d'-Canard se dit:« On n'a jamais trop d'amis ... »
- Je veux bien, lui dit-il, mais avec tes jambes de bois tout l'heure tu seras lasse. Fais-toi toute petite, entre dans mon gosier, va dans mon g©sier, et je te porterai.
- Oh, la bonne id©e ! dit ma comm¨re l'‰chelle.
Et, preste, elle prend ses cliques et ses claques, et s'en va tenir compagnie comp¨re le Renard.
Et : « Quand, quand, quand ! » Bout-d'-Canard repart en chantant, gaillard comme devant.
Cent pas plus loin, il rencontre sa bonne amie, ma comm¨re la Rivi¨re, qui se promenait tranquillement au soleil.
- C'est toi, mon ch©rubin, lui dit-elle, o¹ vas-tu donc si seul, la queue en trompette, par ce vilain chemin ?
- Je vais chez le roi, tu sais, chercher ce qu'il me doit.
- Oh, prends-moi avec toi !
Bout-d'-Canard se dit: « On n'est jamais trop d'amis.»
- Je veux bien, lui dit-il ; mais toi qui dors en marchant, tout l'heure tu seras lasse. Fais-toi toute petite, entre dans mon gosier, va dans mon g©sier, et je te porterai.
- Ah, la bonne id©e ! dit ma comm¨re la Rivi¨re.
Elle prend ses cliques et ses claques et, glou, glou, glou, elle s'en va se loger entre comp¨re le Renard et ma comm¨re l'‰chelle.
Et : « Quand, quand, quand ! » Bout-d'-Canard repart en chantant.
Un peu plus loin il rencontre encore le camarade Guªpier qui faisait manÅ“uvrer ses guªpes.
- Eh, bonjour donc, l'ami Canard, dit-le camarade Guªpier o¹ donc va-t-on si pimpant, si gaillard ?
- Je vais chez le roi, chercher ce qu'il me doit.
- Oh, prends-moi avec toi !
Bout-d'-Canard se dit:« On n'a jamais trop d'amis ... »
- Je veux bien, lui dit-il, mais avec ton. bataillon tra®ner, tout l'heure tu seras las. Fais-toi tout petit, entre dans mon gosier, va dans mon g©sier, et je te porterai.
- Parbleu, c'est une id©e ! dit le camarade Guªpier.
Et, par file gauche ! il s'en va par le mªme chemin retrouver les autres avec tout son monde. Il n'y avait plus grand-place, mais n se serrant un peu ... Et
Bout-d'-Canard reprend sa course et sa chanson.
Il arriva ainsi la capitale, et enfila tout droit la grande rue, toujours courant et chantant : « Quand, quand, quand ! me rendrez-vous mon bel argent ? » au grand ©tonnement des bonnes gens, jusqu'au palais du roi.
Il frappe du marteau : « Toc, toc ! »
- Qui est l ? demande le portier en passant la tªte par son guichet.
- C'est moi, Bout-d'-Canard. Je veux parler au roi.
- Parler au roi ... c'est bient´t dit. Le roi d®ne et il n'aime pas qu'on le d©range.
- Dis-lui que c'est moi et que je viens il sait bien pourquoi. Le portier referme son guichet et monte dire cela· au roi, qui venait justement de se mettre table, la serviette au cou, avec tous ses ministres.
- C'est bon, c'est bon, dit le roi en riant, je sais ce que c'est; qu'on le fasse entrer et qu'on le mette avec les dindons et les poulets.
Le portier redescend :
- Donnez-vous la peine d'entrer.
- Bon ! se dit Bout-d'-Canard, je vais voir comment on ange la cour.
- Par ici, par ici, fait le portier. Encore un pas ... l ... vous ªtes.
- Comment ! comment ! la basse-cour ? Pensez si Bout-d'-Canard ©tait vex© !
- Ah, c'est comme §a ! dit-il. Attendez, je vous forcerai bien me recevoir :
« Quand, quand, quand ! me rendrez-vous mon bel argent ? »
Mais les dindons et les poulets sont des bªtes qui n'aiment pas qu'on soit autrement qu'elles; lorsqu'ils virent le nouveau venu, comme il ©tait fait, et qu'ils l'entendirent crier ainsi, ils commenc¨rent le regarder de travers : « Qu'est-ce que c'est? Que veut celui-l ? » Finalement ils coururent sur lui tous ensemble pour l'ab®mer coups de bec.
« Je suis perdu ! » se disait d©j Bout-d'-Canard, lorsque par bonheur il se rappela son ami, comp¨re le Renard, et il s'©cria :
- Renard ! Renard ! d©pªche et sors, ou je suis un bout de canard mort.
Aussit´t comp¨re le Renard qui n'attendait que ce mot-l se d©pªche de sortir, il se jette sur la m©chante volaille, et couic, couac ! il l'©trangle belles dents, si bien qu'au bout de cinq minutes il n'en restait pas un en vie.
Et Bout-d'-Canard bien content se remet alors chanter : « Quand, quand, quand ! me rendrez-vous mon bel argent?»
Quand le roi qui ©tait encore table entendit ce refrain et que la gardeuse d'oies vint lui apprendre dans quel ©tat ©tait sa bassecour, il se fcha terriblement. Il commanda qu'on jett ce maudit bout de canard dans le puits pour en finir avec lui.
Et ce fut fait comme il avait dit.
Bout-d'-Canard d©sesp©rait d©j de se retirer d'un trou si profond; lorsqu'il se rappela son amie, ma comm¨re l'‰chelle.
- L'‰chelle ! L'‰chelle ! s'©cria-t-il, d©pªche et sors, ou je suis un bout de canard mort !
Ma comm¨re l'‰chelle qui n'attendait que ce mot-l se d©pªche de sortir, elle appuie ses deux bras sur la margelle du puits, Boutd'-Canard grimpe alors lestement sur son dos, et, hop ! le voil dans la cour, o¹ il se remet chanter de plus belle.
Quand le roi, qui ©tait encore table et qui riait du bon tour qu'il avait jou© son cr©ancier, l'entendit de nouveau r©clamer son argent, il entra dans une col¨re bleue.
Il commande qu'on chauffe le four et qu'on y jette ce bout de canard maudit, qui bien s»r devait ªtre sorcier.
Le four fut bient´t chaud, mais Bout-d'-Canard, cette fois, n'avait pas si peur; il comptait sur sa bonne amie, ma comm¨re la Rivi¨re.
- Rivi¨re ! Rivi¨re ! s'©cria-t-il, d©pªche et sors, ou je suis un bout de canard mort !
Ma comm¨re la Rivi¨re se d©pªche de sortir, et, rrrouf ! elle s'©lance dans le four, qu'elle inonde avec tous les gens qui l'avaient allum© ; puis elle se r©pand en grondant dans la cour du palais plus de quatre pieds de haut
Et Bout-d'-Canard bien content se met nager en chantant tue-tªte : « Quand, quand, quand! me rendrez-vous mon bel argent?»
Le roi ©tait toujours table et se croyait bien s»r de son affaire ; mais lorsqu'il entendit de nouveau chanter Bout-d'-Canard et qu'on lui eut appris tout ce qui s'©tait pass©, il devint furieux et se leva de table en brandissant les poings.
- Qu'on me l'am¨ne, que je lui coupe le cou ! s'©crie-t-il, qu'on me I' am¨ne vite !
Et vite, deux valets courent chercher Bout-d'-Canard.
- Enfin ! se disait le pauvret en montant les grands escaliers, on se d©cide donc me recevoir !
Imaginez-vous son effroi, lorsqu'en entrant il voit le roi rouge comme un coq et tous ses ministres qui l'attendaient debout, le sabre la main. Il crut que cette fois c'en ©tait fait de lui. Heureusement il se souvint qu'il lui restait encore un ami, et il s'©cria d'une voix mourante:
- Guªpier, Guªpier, mon brave, d©pªche et sors, ou je suis un bout de canard mort !
Mais c'est ici que tout va changer de face !
Bs ! bs ! la ba¯onnette! Le brave Guªpier d©bouche avec toutes ses guªpes.
Elles s'©lancent sur l'enrag© de roi et ses ministres, et les piquent si furieusement au visage qu'ils en perdent la tªte et que, ne sachant o¹ se fourrer, ils sautent tous pªle-mªle par la fenªtre et se cassent le cou sur le pav©.
Voil Bout-d'-Canard bien ©tonn©, tout seul dans la grande salle et ma®tre du terrain. Il n'en revenait pas.
Bient´t pourtant il se rappela ce qu'il ©tait venu faire au palais, et profitant de l'occasion, il se mit la recherche de son cher argent. Mais il eut beau fouiller dans tous les tiroirs, il ne trouva rien : tout avait ©t© d©pens©.
En furetant ainsi de chambre en chambre, il arriva celle o¹ ©tait le tr´ne, et se sentant fatigu©, il s'assit dessus pour rªver son aventure.
Cependant le peuple avait trouv© son souverain et ses ministres les quatre fers en l'air sur le pav©, et il s'©tait r©pandu dans le palais pour savoir comment cela ©tait arriv©. Lorsque en entrant dans la salle du tr´ne, la foule vit qu'il y avait d©j quelqu'un sur le si¨ge royal, elle ©clata en cris de surprise et de joie : « Le roi est mort, vive le roi ! C'est le ciel qui nous l'envoie. »
Bout-d'-Canard, qui ne s'©tonnait plus de rien, accueillit les acclamations du peuple comme s'il n'e»t jamais fait que cela de sa vie.
Quelques-uns murmuraient bien que ce serait un beau roi qu'un bout de canard ; ceux qui le connaissaient r©pondirent qu'un bout de canard bon m©nager valait encore mieux pour roi qu'un panier perc© comme celui qui gisait sur le pav©.
Bref, on courut ´ter la couronne de la tªte du d©funt et on en coiffa Bout-d'-
Canard, qui elle allait comme de cire.
C'est ainsi qu'il devint roi.
- Et maintenant, dit-il apr¨s la c©r©monie, mesdames et messieurs, allons souper ! Je me sens l'estomac creux.